Où peut-on se sentir aussi bien que dans son berceau ? Le mien – ou plus exactement celui de mon aïeule – se niche quelque part au cœur de la forêt de Wisches, au confluent des deux ruisseaux du Schoenbruch et du Netzenbach. C’est là qu’a fonctionné, jusqu’en 1920, une scierie à aubes, la scierie du Paquis.
En 1750, elle appartenait à un certain Joseph Lamarche, bourgeois de Wisches, et au sieur Pierre Chardon, son associé. Lamarche, entrepreneur des Exploitations des bois de l’évêché de Strasbourg, a fait fortune en passant des contrats pour faire flotter du bois par le ruisseau du Netzenbach et la Bruche jusqu’aux carrières de Soultz-les-Bains… C’était une autre époque !
Près d’un siècle plus tard (vers 1846), la scierie fut acquise par la commune, qui la modernisa. En 1889, un certain Julien Holveck, employé comme sagard, s’y installa avec sa famille. C’est dans cet environnement sylvestre, que Marie-Denise, la « chiôni » (plus jeune, en patois welche, ndlr) des huit enfants du couple Holveck-Magron (six garçons et deux filles) vit le jour, le 4 octobre 1896. Cette fille des bois, robuste, élevée à la dure comme ses frères, au caractère bien trempé, c’était ma grand-mère. En 1920, un incendie ravagea la scierie. Celle-ci ne fut pas reconstruite : elle ne répondait pas au modernisme en marche
À la place de ce qui fut autrefois un lieu d’habitation et de travail, à trois bons kilomètres du centre du village, ne subsiste plus aujourd’hui qu’un petit amas de cailloux noyé dans la végétation et partiellement immergé dans le lit du ruisseau. Ces vestiges du passé, quasi invisibles pour qui ne connaît ni l’endroit ni l’histoire, ont été rendus à la nature. Recouverts de mousse et de végétation sauvage, ils sont les témoins d’une époque révolue, d’un temps oublié, mais scellés dans mes gènes. Car lorsque les rayons du soleil caressent les branchages, que le souffle espiègle du vent échevelle les feuillages, que l’eau bondissante et joyeuse lutine les cailloux, je sens comme une présence, furtive, impalpable. Je me dis alors que, sans doute, mes ancêtres sont toujours là !
