Wisches.Anc.14

À l’époque romaine, les routes reliant l’Alsace à la Lorraine par la vallée de la Bruche étaient: :

1) la route partant de Langres jusqu’à Strasbourg (Argentoratum) venait de Raon-l’Etape et suivait le « chemin des Bannes » jusqu’au col du Prayé , montait au Donon pour redescendre sur Wisches.

2) «la Via Salinatorum» ou Route du Sel
En effet, deux voies sont connues sous ce nom au Moyen-Age. Une voie dérivée de la route de Langres à Strasbourg (rejointe près de Raon par une route venant de Metz) quittait cette dernière près de Saint Blaise, se dirigeant vers le Ban de Sapt et le col des Broques vers Saâles, le col de Steige, le Champ du Feu, le Mont Sainte Odile et Obernai pour rejoindre Strasbourg.
À l’aube du moyen-âge, la rive gauche de la Bruche fait partie de trois patrimoines distincts:
– le territoire de l’abbaye de Senones délimité à l’est par le col Entre les deux Donon, la Goutte du Marteau et le ruisseau de Framont (Wackenbach): il est connu par une fausse charte de 660 (confirmée en 948) et bien délimité par un acte de 1328
– le district de l’évêché de Strasbourg entre le ruisseau de Still, la crête et le Netzenbach qui apparaît comme «fief» de l’abbaye de Haslach fondée avant 826: la charte de donation de l’empereur Louis le Pieux à l’évêque date de 816, mais elle remonte sans doute à l’époque mérovingienne
– enfin, l’abbaye d’Andlau obtint à sa fondation (avant l’an 880) un patrimoine non situé à sa proximité, mais d’importantes forêts localisées au nord et au sud du Donon. Ces biens touchaient à la Bruche, puisqu’ils englobaient le secteur bien délimité entre le Wackenbach et le Netzenbach. Dans ce territoire appartenant à Andlau, aucun habitat n’est encore mentionné à cette époque.
Seul le ruisseau de Netzenbach, qui sera appelé au moyen-âge Wischbach, apparaît sous les noms WICHIA (816) et WICHAHE (1059). La première mention avec sa terminaison latine en IA est particulièrement précieuse, puisqu’elle se rapporte sans doute à un établissement gallo-romain (vicus) dont le lieu-dit encore connu au VII° siècle perpétuerait le souvenir la terminaison AHE, quant à elle, est déjà germanique.
Ce vicus installé quelque part sur l’emplacement du futur village de Wisches doit être mis en rapport avec la voie romaine partant de Strasbourg et franchissant la crête au col Entre les deux Donon. C’est à Wisches que cette route romaine quitte le flanc de la rive gauche de la Bruche et «s’élève» vers le Donon; le tracé de cette route antique est par ailleurs celui qu’empruntent encore de nos jours la «Gosse Saint Antoine» et le «Chemin des Vignes».
La présence de l’établissement gallo-romain à Wisches peut s’expliquer par la nécessité d’une station qui procurait aux conducteurs un attelage d’appoint avant la dure montée vers le Donon comme cela s’est vérifié ailleurs pour d’autres routes romaines.

Plusieurs restes d’un pavage romain étaient encore connus au début du XIX° siècle. Le professeur Curt Mundel, dans son Guide des Vosges, raconte les avoir suivis en 1904 au- dessus du cimetière de Wisches, en suivant le «Chemin des Vignes», peut-être vers la basse du Rond-Pré. Cette voie se retouve à l’époque médiévale, et plus tard, sous diverses dénominations: la Sente des Bouteillers en pays de langue française au début du XVI° siècle, son équivalent en allemand Bosselweg ou Bosslerweg à la même époque, le Chemin des Botteliers au XVIII° siècle, enfin le chemin de Saint-Quirin (voie de pèlerinage) au début du siècle dernier.
Il reste encore à mentionner -au moins au moyen-âge- la présence à Wisches même d’un double péage: celui de l’évêque «der gross Zoll» et le «petit péage» des comtes de Salm avant que celui-ci ne soit transféré à Lafrimbolle.
C’est dans ce même contexte de passage transvosgien (mais est-ce vraiment le hasard?) qu’émerge la localité médiévale de Wisches. Nous sommes au début du XIII° siècle, en

1213. Le duc de Lorraine, Thiébaut Ier est en guerre avec l’empereur Frédéric II de Hohenstaufen au sujet de la possession de la ville de Rosheim. Il envoie son infanterie en avant-garde dans la Vallée de la Bruche. Celle-ci, au lieu d’attendre le duc, s’aventure jusqu’à Rosheim où elle est surprise par un cuisant échec, dû principalement à l’ivresse causée par le bon vin des caves! Ce n’est qu’au cours du retour précipité que le «lieutenant» lorrain rencontre enfin Thiébaut et son armée restés auprès de Wisches (apud Wicha).«Le duc à cette nouvelle rebrousse alors chemin» ajoute le chroniqueur Richer de Senones, quasi contemporain des faits.

Wisches constitue-t-il alors un point fortifié pour que l’armée lorraine s’y soit arrêtée? Est- ce plus simplement parce que l’étape appelée Wicha se trouve sur la route utilisée par Thiébaut de Lorraine venu peut être du Donon? On ne sait pas. Toujours est-il que la première mention connue de la localité de Wisches apparaît en 1213.

Le territoire de Netzenbach-Wackenbach arriva aux mains de l’évêque sans doute vers 1226-1236 avec Guirbaden et l’héritage des comtes de Dabo également avoués de l’abbaye d’Andlau. Mais le district ne devint épiscopal que de manière très incomplète, l’abbesse d’Andlau y gardant des droits importants qui ne seront cédés à l’évêché qu’en 1539: de multiples taxes, deux tiers des forêts enfin le droit de justice incarné par celui de nommer l’écoutète.

Le souvenir de l’abbaye d’Andlau comme seigneur foncier restera longtemps incrusté dans la mémoire des habitants. Un lieu-dit encore en usage en 1685 le prouve: le terrier de Wisches-Hersbach de cette année signale ainsi près du vallon du Tommelsbach (du côté de Hersbach) «cinq acres de champs en friche sur la montagne d’Andlau» (am Andlawer berg). Et puis, il y a cette silhouette étonnament vivante d’un écoutète épiscopal de pure souche au XVI° siècle: Jean Kubler (né, baptisé et habitant à Wisches). En 1579, il regarde derrière lui sa carrière écoulée – il a alors soixante-quatorze ans – et se plaint du temps présent et du tumulte des guerres. Mais il regrette avec une certaine amertume l’époque heureuse de ses prédécesseurs nommés par l’abbesse d’Andlau qui «avec moins de peine avaient de nombreux avantages en nature» et sans doute plus de prestige que lui au sein de la communauté.

Au début du XVI° siècle, il ne peut sans doute pas encore être question de territoire propre à une localité mais uniquement de droits d’usage dans les forêts, de droits de parcours pour les troupeaux sur les chaumes et près des points d’eau, le tout encore en commun. C’est dans cette optique qu’il faut comprendre la démarche des communautés de Wisches et de Schirmeck qui se sont «accomodées» le 17 juillet 1545 devant le seigneur-évêque «au sujet de la glandée, coupes de bois et pasturages dans les forêts qu’ils [dont ils] jouissent par indivis». Plus tard, Schirmeck d’un côté, Wisches et Wackenbach de l’autre, arriveront en 1572 à séparer et aborner entièrement les deux territoires (appelés maintenant «bans») le long du Tommelsbach: c’est donc à cette date – et pour la somme de deux cents livres – que Wisches perd sa juridiction territoriale qu’elle avait réussi à maintenir depuis ses origines jusqu’à Wackenbach et le ruisseau de Framont.

Sur le plan spirituel, Lutzelhouse et Urmatt forment deux paroisses en 1371: elles sont placées sous l’autorité de Haslach plus précisément du prévôt du chapitre qui en tire personnellement les revenus «die zwen kirchen Urmats und Lutzelhusen und iren zugehorden».

En fait cette situation remonte au moins au XIII° siècle, puisque les deux «ecclesia», Uormatten et Lutzelnhusen apparaissent pour la première fois en 1290. Il s’agit donc bien des deux seules paroisses existant sur le versant gauche de la Bruche entre les cours du Framont et de la Hasel et comprenant, comme c’est toujours le cas, un certain nombre de «filiales».

Ainsi parmi les habitats cités lors de la vente de 1366, le district paroissial de Lutzelhouse comprend deux autres lieux de culte connus: par un texte tardif pour Wackenbach où une petite chapelle existe en 1603, par un édifice pour Wisches. En effet, la chapelle du cimetière – dont l’étude archéologique reste encore à faire -remonte dans ses plus anciennes parties conservées au moins au XIV° siècle.

Le patron Saint Antoine y est attesté pour 1666, mais en 1758 la nouvelle église fut dédiée à Saint Michel. A ce moment Lutzelhouse était devenue annexe de Wisches et devait le rester jusqu’en 1802.

Le blason de Wisches contient une croix de Saint Hubert; le saint Patron de Wisches est Saint Michel et l’ancienne église paroissiale est dédiée à Saint Antoine de Padoue, appelé à Wisches «Saint Antoine des cochons.» Ceci atteste du caractère fortement chrétien de Wisches. Selon certains auteurs, ce dernier prendrait son origine dans le rôle qu’aurait joué le ruisseau du Netzenbach comme barrière d’arrêt lors des grandes invasions des VIII° et IX° siècle. Cette théorie -dont la certification ne saurait aujourd’hui être faite avec un degré de confiance suffisant- s’appuye sur la présence de symboles non-chrétiens dans l’héraldisme de villages voisins.

Sources :

Pierre Juillot,
Jean Braun, Cahiers Alsaciens d’Archéologie d’Art et d’Histoire, XII, (1968) p.39 La communauté et la paroisse de Wisches sous l’Ancien Régime,
Arnold Kientzler, l’Essor n° 150, Spécial Wisches Hersbach, mars 1991 Encyclopédie de l’Alsace, Editions PubliTotal Le Baillage épiscopal de Schirmeck,
Arnold Kientzler, l’Essor n° 84, septembre 1973 Le Ban de la Roche au temps des seigneurs de Rathsamhausen et de Veldenz,
Denis Leypold, Librairie Oberlin (1989)